Il y a un demi-siècle : la Terre Adélie

Un demi-siècle : bien des choses changent. Les octogénaires que nous sommes admirent, en étant quelque peu ahuris, les conditions d'organisation de voyages et de vie en Terre Adélie aujourd'hui.

Tout d'abord, il faut dire qu'il n'existait à l'époque aucune structure administrative, civile ou gouvernementale, pour préparer, organiser et rassembler matériel et équipements. Ajoutons qu'il n'y avait plus d'hommes d'expérience polaire en matière d'antarctique.

Le Président de la République, lui - même, accréditait par décret le chef de l'expédition comme " Représentant du Gouvernement Français " et le Président du Conseil le plaçait " sous la Haute Autorité de M. le Ministre de la France d'Outremer, à l'égard de qui vous êtes responsable de la conduite de l'expédition ".

Les Expéditions polaires françaises n'existaient pas, PE. Victor n'était pas mentionné, mais la petite structure créée par lui dans l'immeuble de la Grande Armée devait servir de centre de préparation.  

Songez donc que Liotard et sa petite équipe de 11 personnes (puis la mienne un an plus tard), eurent à noter tout ce qui serait nécessaire pour vivre un an, à l'acquérir, à le transférer sur le bateau le Commandant Charcot, de la baraque, des diesels, des véhicules, aux vis à bois, au papier toilette, sans parler des deux ans de vivres (le pack serait - il franchissable l'an prochain ?) de fûts d'essence, de gasoil et du charbon, le tout sans oublier le matériel scientifique et la formation préalable à son emploi.

Il y a là déjà une bien grande différence par rapport aux mœurs actuelles, où une organisation expérimentée en métropole et à Saint-Pierre, a tout loisir de préparer les choses pour que les utilisateurs sur place ne perdent pas de temps en longs travaux avant le départ.  

Sur place, la base de Géologie n'existait que sous la forme d'un petit archipel glacé adossé à une langue glaciaire qui se prolongeait en mer sur une dizaine de kilomètres, et nos installations étaient à Port Martin sur le Cap de Margerie.

Notre baraque en contreplaqué (épais !) ne comportait pas d'isolation et elle était chauffée par un unique poêle à charbon du genre des " mirus " de nos pères, surmonté d'une poubelle pleine de glace, pour la boisson, la cuisine... et l'hydrothérapie (sommaire).

La température, dans ces conditions était satisfaisante à hauteur de tête, mais négative au niveau des jambes.

Compte tenu du temps qu'il faisait dehors, le confort de la base nous paraissait paradisiaque même si certains détails donnaient à désirer... par exemple l'usage des fûts de farine vides pour les WC.  

C'est dans cette baraque, sur la table de la salle commune, que le Docteur Cendron dû faire un anus artificiel sur le ventre d'un camarade en août 1951, en deux opérations chirurgicales impressionnantes.

Les liaisons avec l'extérieur relevaient des ondes courtes, du manipulateur et de l'alphabet morse. La, proximité du pôle magnétique rendaient incertaines les communications ; il arrivait de passer plusieurs jours dans le silence radio du fait d'un orage magnétique. Un court message par quinzaine, c'était tout ce que chacun pouvait avoir comme liaison avec sa famille.

Au cours des raids, les communications n'étaient guère possibles : pas de coups de téléphone avec les amis restés en France avec un portable via un satellite. Les raids avec les chiens pouvaient emporter un poste portatif opérant en ondes intermédiaires sur une génératrice à manivelles.

Son poids y faisait renoncer souvent. Sur les raids en weasels, on avait un petit poste sur les mêmes ondes opérant sur batteries. Nous avions des chiens, mais leur usage était impossible la nuit et pendant les blizzards.

Leur emploi était impossible entre mai et septembre. Les weasels, véhicules à chenilles qui avaient fait la guerre avec l'armée américaine, étaient très " fatigués ", surtout les chenilles et les boites ; on les avaient habillés de carrosseries permettant de se claquemurer à l'abri pendant les blizzards, en pouvant y vivre. Contrairement à ce qui devait arriver plus tard, il n'y avait pas de distinction entre hivernage et campagne d'été les deux activités étaient assurées par les mêmes hommes et les mêmes moyens.

Ces raids avaient évidemment des buts scientifiques : exploration, cartographie, biologie, aurores, glaciologie, localisation du pôle magnétique, etc... Ces objectifs ont conduit les expéditions à parcourir tout le territoire de la Terre Adélie, le long de la côte vers l'est et vers l'ouest, et vers le sud jusqu'à 500 km. Plusieurs milliers de kilomètres furent au total parcourus par tous les temps, dans l'obscurité de l'hiver, sur une glace (le mer qui devait s'avérer dangereusement incertaine, ou sur le plateau ou des crevasses nous attendaient parfois, énormes dans l'approche, au Cap Pépin en particulier.

Au cours des ces raids, nous n'avions d'autres moyens de localisation, que le théodolite, et, lorsque le raid n'avait pas de moyens radio, la base ignorait sa position. Les ordres étaient, en cas de non retour à une date fixée, de faire un raid de recherche jusqu'à un point intermédiaire sur la route du raid, puis d'abandonner en cas d'échec.

Pas d'hélicoptère, pas d'avion et de parachutages ! Les expéditions de Port Martin, constituent pour cela un souvenir exceptionnel pour leurs membres qui se retrouvent chaque année entre eux depuis 50 ans. La base devait brûler de fond en comble, le jour même de la relève, qui ne put que se lancer dans un hivernage à effectif très réduit, à Pointe Géologie, sous la direction de Marret.

Après quoi, la Terre Adélie, retourna à sa solitude jusqu'à l'A.G.I. en 1956.

Michel Barré, chef d'expédition en Terre Adélie 1951